Promenade de santé

Haute silhouette perdue dans les fourrés, à quelques mètres d'une ferme traditionnelle, Slavomir attendait. Trois de ses lieutenants l'avaient accompagné. Richard Davidson, l'ancien chef de la police d'Hawkwood City, qu'il avait durant des années arrosé de copieux pots de vins, qui l'avait rejoint quelques jours après le démantèlement total des organisations légales de la ville. Kirill, un cousin éloigné de Piotr, son bras droit, une vrai enfoiré doté d'une face de rat couturée de cicatrices difficilement regardable : il était sous ses ordres depuis de nombreuses années, et était le proxénète attitré de l'ancienne Mafya. Et Vladimir, grand diable sec aux épaules voûtées et au regard hanté, d'une grande placidité la plupart du temps mais capable d'accès de cruauté à faire froid dans le dos. Une sorte de connivence s'était formée entre Slavomir et lui : lui aussi avait servi dans l'armée rouge, et avait fait ses premières armes lors de la rébellion tchétchène. Lui aussi avait subi l'horreur ; mais il s'en était moins bien sorti...,Etaient venus également une demi-douzaine de grouillots de base, restés sur le
chemin, à l'arrière, et censés arriver si les choses tournaient mal.

La petite bande, lourdement armée et sur les nerfs, attendait là depuis bientôt trois heures. Une fête de famille allait se dérouler ici ce midi : les premiers invités étaient déjà arrivés, les bras chargés de paquets et victuailles. Une fête, en ces temps troublés, c'était un peu comme une pin-up allongé sur la table d'un congrés du Vatican. Incongru. Incongru et indésirable.

- Regardez-moi ces gros porcs, murmura Slavomir d'une voix haineuse. Ils vont se goinfrer la panse avec mon argent.

- Ils n'ont toujours rien livré ? le questionna Kirill tout en aiguisant doucement son poignard.

- Toujours rien. Depuis un mois. J'avais dit à Anthony de ne jamais payer d'avance. Résultat, je me suis fait enculer de 4 000 dollars et de trois caisses de munitions.

Kirill eût un sourire mauvais, et demanda si c'était pour cette action irréfléchie qu'Anthony n'avait plus la moindre parcelle de peau intacte sur le dos. Slavomir ne répondit pas, préférant lui jeter un regard mauvais. Il avait fouetté cet imbécile de ses propres mains., avec ses fidèles lanières en cuir clouté. Cela lui apprendrait à ne pas prendre d'initiatives stupides, et à ne plus se faire arnaquer avec de soi-disant bonnes affaires. Ces campagnards étaient des enfoirés, point barre. Leur principale occupation était d'essayer de le berner. Eh bien ce Ted Worthmill allait être celui qui paie pour les autres. Sa petite sauterie virerait au tragique avant même que la moindre bouteille d'eau-de-vie ait pu être débouchée. Il ne faisait pas bon se moquer des Ottenki.

Une autre famille d'invités arriva dans une jeep blindée, et descendit. Le père de famille, un vieux redneck vêtu de la traditionnelle chemise à carreaux, tenait une carabine à la main, alors que sa femme et ses gosses portaient un poulet rôti et divers paquets. Un vrai carnage. Facile, qui plus est. Cachés dans les fourrés, les quatre hommes se renfoncèrent instinctivement encore un peu plus sous les feuillages. Slavomir serra son fusil à pompe contre lui, et attendit. Plus que quelques dizaines de minutes, et la fête commencerait vraiment...

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'Chaos' : 19

[ Mode combat réglementé ]

La petite famille d'agriculteur s'installait tranquillement sur l'herbe encore verte de cette région, s'offrant le luxe de sortir des défenses miliciennes pour vaquer à des occupations bien plus nobles, usant certainement de denrées soigneusement cachées aux autorités. Bien trop occupés par les préparations du dîner, aucun des invités n'était vigilant à la flore environnante qui cachait une partie du paysage. Des fleurs aux couleurs blafardes poussant encore sur ces terres, l'un des enfants décida d'en cueillir pour sa mère.

Le drame imaginé par le Russe prit une tournure encore plus sanglante qu'il ne l'avait espéré. Un jeune brun à l'allure dépenaillée apparut d'entre les fourrés, s'avançant vers le petit. Ce dernier, surpris, appela sa mère pour lui dire qu'un autre invité était arrivé.
L'homme sauta sur l'enfant tout proche et déchira la peau de son cou à l'aide de ses dents, dans un sombre gargouillis de sang, et les cris de l'assemblée générale.
Mais l'individu n'était pas seul. Deux ombres fondirent sur les invités alors qu'ils tentaient de rejoindre leurs véhicules respectifs. La panique se généralisa et chacun partit de son coté, évitant soigneusement de s'approcher de tout ce qui pourrait cacher un autre de ces êtres.

La surprise pour les Ottenki devait être grande.
Cependant, ils n'auraient pas l'occasion de se préoccuper des bourgeois plus longtemps. Un branche avait craquée non loin. Un bruit de feuillage sur la droite. Il ne faisait aucun doute que rester à couvert attenterait à leurs vies.

- Фигассе ??!?

L'incrédulité de Kirill fit lever la tête aux quatre hommes, pile au
moment où le premier zombie arrachait la tête du gosse. Comme
électrisé, Slavomir se redressa : Kirill imita son geste quelques
instants plus tard. Vladimir, toujours empreint de son flegme naturel,
était resté accroupi au sol, appuyé contre son fusil, alors que
Davidson buvait une gorgée d'eau-de-vie, tirée de sa fidèle flasque. Le
chef scruta la scène qui se déroulait en contrebas, tout en armant son
fusil à pompe.

- On s'arrache? questionna le proxénète, visiblement flippé par l'attaque des morts-vivants. C'est que les fermiers qu'ils attaquent, ça nous concerne pas, hein?

Slavomir ne répondit pas, tout son corps tendu en quête d'un signe
d'approche. Vladimir, toujours aux aguets sans avoir besoin de faire
d'efforts, cracha le brin d'herbe qu'il machonnait depuis des heures,
et lâcha d'une voix atone :

- В слеве. (A gauche).

Vladimir avait toujours refusé d'apprendre l'anglais : c'était un
farouche patriote, et pour lui le russe était la seule option possible.
Slavomir dressa encore plus l'oreille, et perçut effectivement des
bruits désordonnés et des grognements sur sa gauche.

- Maintenant, ça nous concerne, murmura-t-il. Levez-vous, déplacez-vous sur l'herbe et mettez-les en joue.

Tous ses hommes lui obéirent, et lui-même se plaça en tête de leur
petite troupe. L'attente fut longue, chaque seconde semblant une minute
au fur et à mesure que les sons se rapprochaient. Enfin, des fourrés
surgirent un, deux, trois...six zombies, leurs yeux vides et glauques
fixant l'horizon. Sans attendre plus longtemps, Slavomir visa dans le
tas au niveau de la tête et tira à trois reprises, priant le Ciel pour
tous les tuer rapidement. A sa gauche et à sa droite, il entendait ses
lieutenants tirer, chacun à leur façon : les rafales fébriles de
Kirill, les tirs ajustés de Vladimir et les coups nerveux mais précis
de Richard. Faites qu'ils n'aient pas à passer au corps à corps...

Jet de tir:
Slavomir: 2
Richard Davidson: 2
Kirill: 8
Vladimir: 12

Chaos: 43

Résistance:
Slavomir: 4

Devant l'assaut de la demi-douzaine de zombies ennemis, les russes firent preuve d'une puissance de feu tout à fait particulière. En tête du groupe, Slavomir se débarrassa de deux ennemis et en blessa grièvement un, rampant à terre. L'une de ses victimes avait la tête complètement arrachée. L'ancien officier de police gardait quant à lui une maîtrise tout aussi parfaite de son arme, et rivalisa au fusil à pompe avec le son chef en touchant deux autres ennemis, atrophiés par l'impact, ou morts. En tout cas, ils baignaient dans leur sangs...
Kirill eut quant à lui plus de mal à toucher ses ennemis, ses rafales étant trop imprécises et situées sur le haut pour toucher la tête. Il blessa à l'épaule un des contaminés, qui tomba à terre avant de se relever en un beuglement, le corps sanglant.

Un infecté réussis toutefois à passer le tir de barrage. Un cliquetis sonore venait de s'entendre dans l'arme de Vladimir: Son M16 était enrayé! Se jetant sur le membre du groupe le plus exposé, c'est à dire le russe, l'homme en haillons s'agrippa à lui et tenta de le mordre au visage. Il fut cependant intercepté par le fusil du russe, suffisamment long pour servir de protection et le maintenir à distance, soit une vingtaine de centimètres entre ses dents et la joue du leader.


Plus loin, les cris continuaient. Quelques coups de feu indiquèrent toutefois que les agriculteurs avaient de quoi se défendre. Puis un silence révéla que cette défense était insuffisante. Les Ottenki devaient toutefois garder à l'esprit que des jeep miliciennes débarqueraient d'ici une dizaine de minutes, et qu'ils devaient donc abréger au plus vite le combat contre le zombie atrophié, et celui tentant de dévorer le meneur.

- Mоргалик [morgalik] !! (Pédale !!), hurla Slavomir alors que le zombie sautait sur lui, prêt à planter ses crocs dans son visage.

Heureusement, un réflexe de survie naturel le poussa à brandir son fusil, maintenant la créature à quelques centimètres de lui. Tous ses muscles bandés pour résister à l'assaut, il gueula à ses hommes d'aller achever le dernier : ceux-ci se dirigèrent vers la bête rampant au sol, et vidèrent leurs chargeurs sur lui, faisant jaillir une infecte de bouillie de sang noir et visqueux. De son côté, le chef se débattait avec la créature, dans un rapport de force plutôt favorable pour lui, mais que ne pouvait pas durer éternellement. Pratiquant la technique de base du combattant de rue, il lâcha son adversaire et se déroba sur le côté, déséquilibrant le zombie. Son fusil étant tombé à terre pendant l'assaut, il préféra ne pas perdre de temps à le ramasser et se rua sur la créature, enserrant les restes de son cou de son bras musculeux, la forçant à poser genou à terre. Il bloqua ensuite les pattes du type avec une de ses jambes, et saisit le visage en décomposition avec le plat des deux mains, une sur chaque joue, et tourna de toutes ses forces vers la gauche. Un craquement caractéristique se fit entendre, et les dernières tentatives de fuite du zombie s'envolèrent alors que son corps tombait, flasque, sur l'herbe.

Slavomir se redressa avec difficultés. Il n'était plus tout jeune, et ce corps à corps avec cette saloperie plutôt coriace l'avait éreinté. D'un geste désinvolte, il ramassa son fusil à pompe et tira deux rafales dans la nuque du mort-vivant, afin de le rendre définitivement plus mort que vivant. Il cracha au sol, et se tourna vers ses hommes : aucun n'était blessé, et tous le regardaient.

- On s'arrache. Ces connards de militaires ne vont pas tarder à rappliquer.

- Et les fermiers ? demanda Davidson d'une voix égale.

Son chef regarda en direction de l'exploitation agricole, et y distingua encore quelques brèves traces de combats, alors que le sol était marbré de longues traînées rouges, et que les corps sans vie tapissaient l'entrée de la grange.

- Qu'ils crèvent. Ils ont eu leur compte. On repassera dans une semaine voir si y'a quelqu'un de vivant.

Ses lieutenants acquiescèrent et, sans un mot, se dirigèrent d'un pas rapide vers la Jeep et le camion dans lequel leurs hommes les attendaient. Quelques uns d'entre eux esquissèrent des questions concernant les évènements, que Slavomir éluda sans y prêter grande attention. En quelques minutes ils étaient tous repartis vers la ville. Dans la Jeep transportant les quatre gradés, le silence était pesant. Kirill rompit le silence alors qu'ils passaient le poste de garde.

- Chef, si les zombies sont si près de la ville...

- Je sais, Kirill, je sais.

Slavomir se détourna vers la fenêtre. Si les zombies étaient si près de la ville, alors tout le monde était vraiment dans la merde. Ottenki y compris. Campbell avait vraiment raison d'être effrayé, en fait...